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Vers une tokenisation de la finance ?

| 07 juin 2018 | Actualité |




Le jeudi 07 juin dernier a eu lieu le colloque du Conseil scientifique de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) sur le thème « ICO, crypto-actifs quel avenir et quelle régulation ? » à la maison du Barreau de Paris. Au travers de deux tables rondes académiques et réglementaires, l’autorité de régulation a rappelé aux investisseurs et professionnels du secteur notamment les hauts risques financiers associés à ces opérations.


Qu’est ce que les Initial Coin Offerings ?

Depuis l’article fondateur de Satoshi Nakamoto de 20081, le développement de la technologie de registre distribué (Distributed Ledger Technology, DLT) plus communément appelée chaîne de blocks (blockchain)2, s’est accompagné de la création d’une multitude de cryptomonnaies virtuelles ou crypto-actifs. Les plus connus d’entre eux sont le Bitcoin, l’Ether, le Ripple ou encore le Litecoin.

Plus récemment, l’écosystème blockchain a trouvé un nouvel usage dans le financement de projets. Sur les deux dernières années, un nouveau genre de levée de fonds s’est ainsi développé : les Initial Coin Offering (ICO). Appelées de la sorte en raison de leurs similitudes avec la terminologie anglaise des introductions en bourse classiques (Initial Public Offerings, IPO), lesquelles reviennent à émettre des titres, les ICO donnent lieu à l’émission de jetons (Tokens).

Réservées à l’origine à des communautés de développeurs, professionnels Fintech, ou encore émetteurs et investisseurs avertis, les ICO ne cessent de se démocratiser pour toucher désormais le grand public. Elles représentaient, en effet, un encours compris entre 4 et 6 milliards de dollars en 2017 même si ces chiffres restent incertains, compte tenu de l’absence de marchés organisés et réglementairement encadrés3. Rien qu’en France, quatre ICO réalisées en 2017 sur les marchés primaires de jetons totalisaient plus de 80 millions d’euros, les marchés secondaires de jetons s’élevaient à plus de 350 millions d’euros à fin 20174. 80% de ces levées de fonds reposent majoritairement sur l’Ether plus facile à coder dans le cadre de Smart Contracts, le Bitcoin venant très loin derrière en dépit de ses fortes hausses de cours non régulé et spéculations en fin d’année dernière. Nous noterons enfin que la division Fintech, Innovation et compétitivité de l’AMF a connu plus de cinquante projets innovants durant les huit derniers mois.5

crowdfunding/crowdlending ; financiers : IPO). Ces levées de fonds frappent par leur rapidité et les montants très importants accordés à des projets, certains d’entre eux n’étant parfois restés qu’à l’état d’idées ( early stage).


De l’importance des jetons/tokens

Les jetons (tokens) émis de manière automatisée en contrepartie d’un virement d’investisseurs dans la crypto-monnaie demandée peuvent représenter divers intérêts ou valeurs attachés aux émetteurs ou aux communautés émettrices. Fondés sur des Smart Contracts, les jetons sont fongibles, transférables et ouvrant divers droits.

Les jetons peuvent servir principalement à donner accès et le droit d’utiliser les plateformes des communautés émettrices ou encore bénéficier de leurs services ou produits proposés (plus de 80% des cas). Ils offrent parfois des droits similaires à des actionnaires (dividendes : 26% ou votes dans la gouvernance des émetteurs : 14%) d’après une étude académique récente menée sur plus de 900 ICO6.

Créés et émis, les tokens peuvent en fonction du succès des opérations faire l’objet dans certains cas d’échanges sur des marchés secondaires constitués de plateformes d’échange sur internet représentant un encours total estimé de plus de 3,5 milliards d’euros3.Par essence mondiales dès lors que les metteurs ou communautés émettrices ne limitent pas l’émission des tokens à une juridiction locale précise, les ICO comportent de nombreux risques. Revenant à des offres publiques ou appels publics à l’épargne par internet, ces levées de fonds par nature transfrontalières ont poussé les régulateurs locaux à prendre des positions plus ou moins restrictives7.

Les investisseurs potentiels doivent savoir tout d’abord qu’elles échappent à toute protection de réglementation française. De même, les ICO structurées à l’étranger et dont les tokens peuvent être achetés par les épargnants français ne feront l’objet d’aucune réglementation particulière dans leur pays d’origine. Le risque de perte en capital est en outre significatif puisque le capital investi dans ces opérations et les contrevaleurs des jetons ne sont pas garantis. N’existant pas au sens strict sur des marchés organisés et réglementés de crypto-actifs, les valeurs ou intérêts de jetons sont évidemment sujets à des risques de volatilité et variations considérables, largement imprévisibles. Reposant sur une documentation commerciale de présentation intitulée white paper, les ICO dépendent de la qualité des informations figurant dans ces documents (attention donc aux éventuelles publicités mensongères et rendements fictifs). Au-delà des risques associés aux projets ainsi financés viennent enfin les risques d’escroquerie ou pratiques de blanchiments de capitaux3. Notons que les fraudes sont protéiformes (Ponzi, violation de la réglementation locale ou securities frauds, fraude à la caisse ou exit frauds, prétendu piratage ou hacking frauds, hameçonnage ou fishing frauds, etc.). Même si elles touchent seulement 3% des 500 ICO analysées, les fraudes représentent néanmoins plus de 16% des sommes8. Ce nombre croissant de fraudes a même poussé l’autorité de régulation américaine, Securities and Exchange Commission, à créer un faux site internet d’ICO frauduleuse pour éduquer les investisseurs non avertis à la lecture faux projets à financer, fausse équipe dirigeante, faux white paper, etc.

En février 2017, l’AMF a confirmé la mise en place d’un encadrement réglementaire optionnel des ICO fondé sur deux piliers : (i) un visa/label optionnel pour celles respectant certaines conditions et (ii) un statut pour les plateformes respectant différentes normes. Elle a ainsi privilégié un encadrement innovant respectivement du marché primaire et celui secondaire des jetons9. Les investisseurs doivent dès lors rester vigilants et bien accompagnés de professionnels avertis face à ce nouveau mode de levées de fonds et cette « tokenisation » croissante de la finance.


Par ses services d'assistance face à des contrôles, d'accompagnements, d'audits, de formations, de veilles réglementaire, Regalex aide les porteurs de projets d’ICO, les Fintech ainsi que les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) à bien préparer leurs projets innovants en conformité avec la réglementation applicable.



1 https://bitcoin.org/bitcoin.pdf.
2 Née courant 2008, la chaîne de bloc ou blockchain est une technologie servant à l’origine de support à la crypto-monnaie virtuelle le Bitcoin. Par extension le dispositif d’enregistrement électronique partagé ( DLT) désigne (i) toute base de stockage et de transmission de données informatiques, (ii) sécurisée, (iii) partagée par ses différents utilisateurs et iv) qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création. Le régime juridique des DLT trouve sa source notamment dans les dispositions des articles L.211-3 et suivants du Code monétaire et financier.
3 « ICO et crypto-actifs : comprendre ces nouveaux instruments à travers la recherche académique » du Colloque du Conseil scientifique l’AMF.
4 Selon le document de consultation sur les Initial Coin Offering (ICOs) de l’AMF soumis au marché le 26 octobre 2017 dernier dans le cadre de son programme d’accompagnement et d’analyse du phénomène UNICORN.
5 Selon les propos repris de Monsieur Benoit de Juvigny, Secrétaire général de l’AMF durant la table ronde réglementaire « Entre Financement de l’économie, soutien à l’innovation et protection de l’épargne : quelle régulation adopter » du Colloque du Conseil scientifique de l’AMF.
6 Selon les propos repris de Monsieur Giancarlo Giudici Professeur de Corporate Finance à la Politecnico di Milano School of Management d’après son étude Characteristics of Initial Coin Offerings around the World .
7 Liste d’actions d’autorités de régulations locales par pays. [8] Selon les propos repris de Monsieur Armin Schwienbacher, Professeur de Finance à Skema Business School, et d’après son étude « ICO, information de l’investisseur et exemples de fraude ».
9 Selon les propos repris de Monsieur Robert Ophèle, Président de l’AMF lors de son discours de clôture du Colloque du Conseil scientifique l’AMF.